Les fonctionnaires, souvent négligés mais bien irremplaçables.

ANALYSE

Par Jonathan Bouchet-Petersen, Rédacteur en chef adjoint, libération.fr service France — 16 novembre 2020 à 19:56

Telle l’Eglise qui fait face depuis des années à une crise des vocations, la République, ou plus précisément la fonction publique, peine à recruter. Le nombre de candidats aux différents concours permettant d’y accéder a chuté de 650 000 en 1997 à 228 000 en 2018. Un récent article du Monde a mis en lumière cette triste évidence : devenir fonctionnaire dans la France de 2020 ne fait pas rêver. Comment s’en étonner ou pire s’en réjouir ?

Cela a beaucoup été dit à l’occasion du débat sur la réforme (non enterrée) des retraites comme lors du Grenelle de l’éducation initié par le ministre Jean-Michel Blanquer, cela a également sauté aux yeux de l’opinion pendant la première vague de Covid-19 et le Ségur de la santé : nos enseignants et nos soignants ne sont pas valorisés comme ils le devraient. La question est d’abord financière, en particulier en début de carrière. Et le compte n’y est pas : pour les enseignants, avant une loi pluriannuelle prévue l’an prochain, il faudra, pour ceux qui sont concernés par les critères d’ancienneté retenus, se contenter d’environ 100 euros mensuels en rab pour 2021.

La dégradation continue des conditions de travail a fait perdre de sa superbe à la fonction publique, dont la promesse d’emploi à vie ne suffit visiblement plus. Dire cela n’est pas écarter les débats sur d’éventuelles réformes, même s’il faut avoir en tête que si les moyens ne font pas tout, ils sont rarement un obstacle à la réussite. Et que réformer gagnerait à ne pas toujours signifier affaiblir au nom du «faire mieux avec moins». Les fonctionnaires, c’est quand ils ne sont plus là que même ceux qui les critiquaient les regrettent.

Si les chiffres disent parfois plus que les mots, la valorisation ne se traduit pas que sur la fiche de paie. Dans des discours simplistes mais porteurs, cela fait maintenant trente ans que «les fonctionnaires», servis à toutes les sauces, font office de boucs émissaires médiatiques et de variables d’ajustement de la rigueur budgétaire. Et en l’espèce, la différence entre la gauche et la droite successivement au pouvoir n’a pas été suffisamment notable, même si c’est bien sous Hollande qu’on a embauché des profs et des policiers, et sous Sarkozy qu’on avait supprimé des postes à la pelle.

Au-delà des applaudissements sincères saluant les soignants au printemps, il y a urgence à remettre notre fonction publique au centre du village. Et de réhumaniser des services publics évidemment par ailleurs numérisés. Les Français attendent beaucoup de l’Etat, en particulier dans la période actuelle, mais les mêmes sont parfois sensibles à des discours qui ne parlent des fonctionnaires qu’en troupeau en brandissant le chiffre le plus spectaculaire en matière de baisse des effectifs. Un marqueur de «volontarisme», paraît-il. Macron, qui en sera heureusement loin en 2022 et l’a déjà reconnu, avait fixé la barre à 120 000 quand Fillon affichait le chiffre peu crédible de 500 000 suppressions.

Derrière la fonction publique, c’est la manifestation concrète de l’Etat qui est en jeu. La première ligne, le premier guichet. Avec des missions dont la société a décidé qu’elles sont suffisamment majeures pour ne pas les confier, en tout cas pas prioritairement, au marché. Sans un système de santé solide et, surtout, des personnels qui tiennent, tout s’effondre. Chacun le sait désormais. Une médaille et quelques miettes ne peuvent suffire. Aux enseignants, on confie nos enfants avec la lourde responsabilité de coproduire leur apprentissage, mais aussi leur rapport à la citoyenneté et aux valeurs républicaines communes. Le faire contre des clopinettes n’est pas affaire de vocation.

Alors que les critères de Maastricht appartiennent au passé et qu’on vit à l’ère du «quoi qu’il en coûte», en quoi ne serait-il pas productif de former et d’embaucher massivement les enseignants et les soignants dont personne ne peut sérieusement nier qu’ils manquent à la France ? Ne serait-ce pas une indiscutable création de richesse collective ? L’Elysée n’en est pas convaincu. Moins de candidats, sans faire injure aux reçus, c’est aussi moins de sélection. Pas évident qu’on y gagne.

Jonathan Bouchet-Petersen Rédacteur en chef adjoint, service France

Faites-le savoir :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *