L’ONU s’inquiète du dérapage de l’autoritarisme en France

Des rapporteurs des Nations unies alertent contre la loi pour la «sécurité globale»

Par Amaelle Guiton et Ismaël Halissat —Libération le 17 novembre 2020 à 11:06

Alors que le texte est présenté en séance plénière à l’Assemblée nationale ce mardi 17 novembre, des représentants de l’ONU déplorent, dans une prise de position hautement symbolique, de potentielles atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales.

C’est une alerte de plus et de taille contre la proposition de loi de la majorité présidentielle sur la «sécurité globale». Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, par la voix de trois de ses rapporteurs spéciaux, critique vivement plusieurs dispositions du texte qui doit être présenté en séance plénière à l’Assemblée nationale, ce mardi 17 novembre. Dans un courrier adressé aux autorités françaises et daté du 12 novembre, les rapporteurs spéciaux des Nations unies craignent que l’application d’une telle loi «puisse entraîner des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique». Une prise de position hautement symbolique contre ce texte porté par les députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue. Elle s’ajoute aux inquiétudes déjà exprimées par la Défenseure des droits, plusieurs ONG et les syndicats de journalistes.

L’institution internationale s’alarme plus précisément des articles de la proposition de loi qui permettra aux forces de l’ordre de consulter et de publier à des fins de communication les images des caméras piétons que portent les agents, la création d’un cadre juridique extrêmement vaste pour l’usage des drones et la pénalisation de la diffusion d’images permettant d’identifier les policiers et les gendarmes. Sur la forme, «cette proposition de loi, qui émerge dans le contexte général de la lutte antiterroriste, paraît également refléter un manque de précision qui serait susceptible de porter préjudice à l’état de droit», relève également le Conseil des droits de l’homme.

Une «situation d’impunité pour des actes contraires aux droits de l’homme»

L’institution pointe notamment l’article 24 de la proposition de loi, qui soulève depuis une quinzaine de jours une vague d’oppositions : celui qui prévoit de réprimer la diffusion de l’image du visage ou de «tout autre élément d’identification» d’un policier ou d’un gendarme, à l’exception de son numéro de matricule, quand cette diffusion a pour «but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique». Car si l’avis reconnaît le «rôle primordial» des forces de l’ordre et la «nécessité de ne pas entraver leur action», il souligne aussi que «l’information du public» et la diffusion «d’images et d’enregistrements» d’interventions policières dans l’espace public sont «essentielles» au regard du droit à l’information, mais aussi parfaitement «légitimes» dès lors que toute institution publique, y compris la police, doit faire l’objet d’un «contrôle démocratique». Faute de quoi des abus pourraient être passés sous silence.

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Or les rapporteurs spéciaux des Nations unies estiment que le critère d’intentionnalité posé par le texte (le «but» de porter atteinte à «l’intégrité physique ou psychique») est si peu précis qu’il pourrait «décourager, voire sanctionner» ceux qui entendraient documenter des cas de brutalités policières. Le risque est énoncé noir sur blanc : une «situation d’impunité pour des actes contraires aux droits de l’homme». Ils rappellent la nécessité «d’une presse et d’autres moyens d’information libres, sans censure et sans entrave». Conclusion : l’article 24 «pourrait indûment restreindre le droit à la liberté d’expression», auquel il ne saurait être porté atteinte que de manière «adapté[e], nécessaire et proportionné[e]». Trois critères qui sont aussi au fondement du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel français, qui pourrait, en cas de saisine, examiner le texte après son adoption.

Une «atteinte disproportionnée au droit à la vie privée»

Les Nations unies s’inquiètent également des dispositions qui permettront un usage bien plus large des images des caméras-piétons. Un dispositif que les agents accrochent parfois à leur tenue, et dont la généralisation a été annoncée par Emmanuel Macron cet été. Ces vidéos sont aujourd’hui seulement consultables par un nombre limité de personnes dans le cadre d’enquêtes judiciaires ou de procédures administratives. La suppression de ces garanties est susceptible «d’entraîner une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée», estiment notamment les rapporteurs spéciaux. Le texte prévoit d’offrir aux agents la possibilité de consulter les images de leurs propres interventions même en cas de mise en cause de leur action et d’en diffuser le contenu quand les services de communication des forces de l’ordre le jugeront utile.

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Les rapporteurs spéciaux expriment enfin leur crainte concernant l’usage des drones pour surveiller les manifestations, potentiellement utilisés avec les dispositifs de collecte massive de données et le développement à prévoir de la reconnaissance faciale. Avec ce cocktail sécuritaire, «les manifestants pourraient craindre que leurs opinions politiques soient connues voire stockées et analysées par le pouvoir exécutif». De même que «l’usage de drones avec caméras, en tant que méthode particulièrement intrusive, est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur des individus qui se trouvent dans l’espace public et qui souhaiteraient participer à des réunions pacifiques».

Reste à savoir désormais quelle lecture sera faite par les députés de ce plaidoyer des rapporteurs des Nations unies. Lors de son examen en commission des lois, le texte n’avait soulevé que de rares inquiétudes des parlementaires de la majorité.

Amaelle Guiton , Ismaël Halissat

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