Qui vivra, verra…

Vu d’AllemagnePrésidentielle 2022 : pourquoi il est trop tôt pour tirer un trait sur Emmanuel Macron.

4 MINCICERO (BERLIN)Il a beau être empêtré simultanément dans diverses crises, sembler impuissant sur les fronts économique, sanitaire ou sécuritaire, Emmanuel Macron, en cette fin de mandat, est très loin d’appartenir au passé de la France, explique ce journaliste allemand de Cicero.

La Sorbonne reçoit Macron. À l’automne 2017, il y prononçait un discours enflammé et puissant sur l’Europe. Aujourd’hui, trois ans plus tard, il rend hommage au même endroit – et avec une égale passion – à Samuel Paty, le professeur d’histoire décapité par un terroriste islamiste pour avoir montré les caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. Une fois encore, Macron a su trouver les mots, parvenant à hisser sa rhétorique à la hauteur de celle de ses augustes prédécesseurs, François Mitterrand ou Jacques Chirac. S’érigeant contre “la violence, l’intimidation et la résignation”, il a promis “des actes, non des mots”,n’occultant pas que la tâche était “titanesque”. L’odieux attentat de Nice, qui a causé la mort de trois catholiques, lui a donné raison dix jours plus tard.

Il en est sorti renforcé. Isolé politiquement, sans véritable ancrage dans le pays, le jeune président de 42 ans, qui s’est fait à la force du poignet, aimerait autant qu’on ne le compare pas à François Hollande et Nicolas Sarkozy, ses deux devanciers qui n’ont jamais été réélus. Son ambition de faire de la France une start-up nation a vécu : le coronavirus a purement et simplement relégué aux oubliettes ses réformes libérales sur les retraites ou l’emploi. Aux manettes de la crise, l’ancien banquier d’investissement a curieusement fait unepiètre impression pendant la première vague : au lieu de fournir des masques aux 65 millions de Français, il les a affolés en usant d’une rhétorique guerrière déplacée. Le journal Le Monde a commenté : “Le modèle allemand met en lumière l’échec de notre bureaucratie et de notre État centralisé” – dont le chef de l’État est après tout responsable.

Les Français sensibles aux promesses de changement

En juin, le parti de Macron, La République en marche, a perdu les municipales par K.-O. Le nouveau Premier ministre, Jean Castex, fait sourire, le ministre de la Santé, Olivier Véran, est sous le feu des critiques. Macron a promis que la France “se retrouverait”dans la crise. La formule rappelle aux Français Sarkozy, qui a toujours juré qu’il avait “changé”. Et quand Macron a déclaré qu’il voulait emprunter “une nouvelle voie”,la socialiste Laurence Rossignol a persiflé :

C’est un peu comme la nouvelle cuisine* : revisiter les légumes oubliés.”

Mais ne nous y trompons pas : les Français ont toujours été sensibles aux politiques qui leur assurent, la main sur le cœur, qu’avec eux tout va changer. Surtout quand ils se débrouillent aussi bien qu’Emmanuel Macron dans le petit Landerneau politique parisien. Le chef de l’État habite bien son rôle. Il est plus créatif que la plupart de ses adversaires, endurant (comme tous les petits dormeurs), et intimement persuadé d’avoir un bon karma. Sur la scène internationale, il fait jeu égal avec les plus grands – imposant une poignée de main virile à Donald Trump, remettant Vladimir Poutine à sa place en sa présence et ne passant pas une journée sans attaquer Recep Tayyip Erdogan.

Ça plaît aux Français : ce qui, sur le sol national, est qualifié d’arrogance ou de surestime de soi, lui confère une stature présidentielle sur l’échiquier diplomatique. Alors que Sarkozy et Hollande n’ont jamais su se hisser à la hauteur d’Angela Merkel, Macron négocie sur un pied d’égalité avec la chancelière ; il lui a même arraché son feu vert pour la mutualisation de la dette – qui n’est plus une mesure uniquement transitoire pour les Français.

L’ancien Premier ministre qui plaît pour son flegme et sa modestie

À ce jour, pourtant, la France n’a toujours pas accroché avec Macron. Il reste néanmoins dans la partie, et garde même la main depuis l’Élysée. Il a mieux su gérer la deuxième vague que la première. La relégation de sa réforme des retraites mal engagée devrait le soulager. Et, tant que la menace terroriste reste élevée, Macron marque des points à droite. Or, c’est à droite que se trouvera le gros des électeurs de Macron à la présidentielle de 2022 – alors qu’il avait aussi beaucoup séduit à gauche en 2017.À lire aussi:À la une de l’hebdo. Douce France : Emmanuel Macron, à droite toute !

Il serait toutefois injuste de l’accuser d’un coup de volant calculé à droite : son approche pragmatique et libérale, souvent technocratique, correspond à son ADNpolitique et idéologique. En ratissant large, il devrait battre une deuxième fois Marine Le Pen au second tour en 2022 – si second tour il y a. Car Macron pourrait très bien boire le bouillon dès le premier, si la gauche et les écologistes parviennent à s’entendre sur une candidature unique, ou si les Républicains sortent un personnage charismatique de leur chapeau. L’une comme l’autre possibilité semblent cependant peu probables à l’heure qu’il est.

Reste une option : l’ancien Premier ministre sans étiquette Édouard Philippe, que Macron a renvoyé dans le no man’s land de la politique locale en juin, plaît beaucoup dans les rangs du centre droit. Le maire du Havre, réputé pour son flegme et sa modestie, pourrait devenir dangereux pour son ancien patron. Le chef de l’État fraîchement élu aurait d’ailleurs exigé de lui, dès 2017, qu’il s’engage à ne jamais se présenter contre lui, dit-on. Macron pense décidément très en amont.

* En français dans le texte.Stefan BrändleCet article a été publié dans sa version originale le 30/11/2020.

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